India Song

ASPIRATION
Vers 15 ans, un élan puissant m’amena à rencontrer un moine hindouiste dans les rues de Paris.
Première rencontre avec la Bhagavad-Gîta (texte fondateur de la religion hindouiste transmettant ses principes philosophiques essentiels).
Ce fut un rendez-vous manqué mais rendez-vous quand même.
À ce moment, je sais que Krishna* (dieu du panthéon hindouiste incarnant les valeurs du sentiment amoureux lié à la dévotion) est important pour moi.
Va savoir ce qui s’est dit ou fait à cet instant. Mon cœur s’est ouvert à la spiritualité, rendant la vie colorée, intéressante, attractive.
L’Inde m’atterrit dans les mains par les livres, puis s’infiltre dans mon corps par le yoga que je pratique à 16 ans dans un centre tout près de chez moi.
Le professeur est indien et enseigne à la manière indienne, sans un mot ou presque.
Je reproduis avec délice les postures qu’il nous propose. J’applique les conseils d’hygiène de vie et devient végétarienne. Avec le recul je reconnais la chance qui fut la mienne de commencer la pratique par cette voie royale et avec ce professeur talentueux.
Bref, il aura fallu attendre plus de 25 ans pour que mon corps se déplace en terre indienne. Du temps, et entre-temps, une pratique solide s’est installée, nourrie par des enseignants éclairés, et par mes élèves qui chaque jour m’enseignent.

ADEQUATION
Il aura fallu donc une rencontre entre mon aspiration profonde et une formation féconde pour que le voyage se programme.
Je pars en Inde !
Yoga de la voix, car c’est de cela qu’il s’agit.
Je pratique et enseigne le yoga de la voix. Cette pratique se veut à la croisée des chemins entre le chant traditionnel hindoustani et la dévotion pure, ou Bhakti Yoga. Cette discipline ou art, me correspond en tout point. Elle répond à mon besoin de connexion avec le divin, elle me permet de m’exprimer activement tout en plaçant l’objet de ma contemplation au centre de ma pratique. Ma voix résonne dans les fibres de mon corps, en cela, c’est un yoga interne.
J’irai en Inde pour pratiquer le yoga de la voix. Pendant plus de 3 semaines.
Je suis bien guidée, je rayonne.
ASHRAM
Aurovalley Ashram. Dans la région d’Haridwar, non loin d’un bras du Gange, dans le piémont himalayen, se dessine ce centre dédié aux enseignements de Sri Aurobindo et Mère, dont les énergies imprègnent tous les lieux. Une douce pénétration de l’air, un souffle de profonde réflexion sur le monde et l’humanité nimbent les murs, les panneaux extérieurs, les inscriptions à l’entrée des bâtiments.
Tout ici fait vibrer les cellules au diapason de la conscience pure. Rendant possible le rêve d’un futur radieux. Entre 2 pratiques de chant, nous allons écouter Swami Brahmdev pour une causerie à laquelle nous pouvons apporter tous nos questionnements. Les matins et les soirs, nous avons accès au hall de méditation, dans la douce atmosphère de la sphère placée au centre.
Les cris des paons au petit matin, les chants de la mosquée jouxtant l’ashram, la fraîcheur du soir sur la terrasse à la tombée de la nuit, les sourires des personnes servant le repas seront nos paysages quotidiens pendant ce séjour.

ASCESE
Une rigueur est impliquée par les horaires quotidiens. Notre corps s’adapte à cette routine, son intérieur se baratte, ses corps énergétiques se rechargent au contact des sons chantés, écoutés, reproduits. Notre voix s’ouvre, notre mental se déconnecte, notre énergie s’accroît. Pourtant, chaque soir, je suis épuisée de cette grande lessive interne.
Les vibrations pénètrent chaque tissu, transformant la posture assise en deuxième nature, pendant plus de 7 heures par jour. Les visages se remodèlent, laissant place à plus d’espace, de disponibilité, de détente et d’ouverture. Les exercices s’enchaînent, les chants se traversent comme des pays entiers à parcourir. Les ragas* ( modes musicaux impliquant un état d’être particulier) s’invitent comme des offrandes à nos corps d’occidentaux vierges de toute tradition chantée, qui plus est en communauté.
Je bois le lait de cette discipline qui me permet de faire circuler en moi les saveurs de l’instant. J’accueille avec joie les fulgurances de la présence qui, par générosité, se distille jusque dans nos assiettes, dans nos pas, dans nos tampuras*. (instrument classique indien à quatre cordes, produisant un bourdon sur lequel la voix vient se poser)
La nature environnante participe de cette immersion ascétique. Nous savons que de l’autre côté du Gange, se trouve la réserve des tigres. Nous n’en verrons pas cette fois-ci, mais aurons tout de même le privilège d’observer une panthère noire au lointain. Il n’en faudra pas plus pour nous, tranquilles humains du vieux continent, et nous nous éclipsons bien rapidement.
ABANDON



Nous sortons pour prendre quelques bains de foule dans les rues d’Haridwar ou de Rishikesh. Guidés par nos enseignants, nous pénétrons dans des espaces sacrés à la vibration très élevée : sanctuaires, grottes, temples, ashrams, samadhis* (tombeaux de maîtres ascensionnés).
Bhajan Hall* de Sivananda Ashram, dans lequel est répété en permanence le Maha Mantra* (grand mantra). Celui même qui m’a été enseigné à 15 ans dans les rues de Paris ! Je perds pied.
Un swami (moine) farceur vient alors vers moi pour m’affirmer droit dans les yeux que je suis Cela. Je suis Om* (vibration primordiale d’où jaillit toute création). Saraswati* (déesse des arts et de la musique) et Krishna dansent dans cet édifice dédié à la conscience, entourés des photos des plus grands maîtres que l’Inde ait connue. Krishna, celui-là même dont la présence m’avait frappée jeune adolescente… L’émotion qui m’a parcourue à ce moment, bien qu’elle ait été le mobile d’amusement de ce swami cabotin, a marqué le sceau de ma vocation à établir fermement en moi la discipline (ou tapas) au cœur de mon existence.
Les chants et mantras habitent désormais les cellules de mon corps entier, dont les mélodies et les airs informent chaque parcelle. Les textes de Mère sont à l’œuvre à l’intérieur même des corps pratiquant le yoga : tel qu’elle le préconisait, nous devenons par ce yoga des cellules, l’instrument de notre prière.
